Entretien avec Nicole Chambron, sociologue, administratrice de l’association Eau de Coco et membre du comité de environnement d’Eau de Coco Qu’est-ce que c’est El Niño et quelles sont les conséquences de ce phénomène au niveau global? El Nino est un courant côtier chaud dans le Pacifique au large du Pérou qui se produit aux environs de Noël. Phénomène naturel qui dure jusqu’en avril, il entraîne des pluies importantes et une diminution du plancton dans l’océan, ce qui réduit les ressources pour la pêche mais profite aux activités agricoles. Le réchauffement climatique accéléré lié aux activités humaines a pour conséquence une amplification de ce phénomène, qui est capable de déplacer les cyclones, les zones de pluies et de sécheresse jusques dans l’Océan indien. Les pluies deviennent torrentielles et causent de lourds dégâts, les sécheresses peuvent durer plus d’une année, les eaux océaniques se réchauffent durablement, diminuant la nourriture pour les animaux aquatiques qui se font plus rares. Comment ça impacte les pays comme Madagascar, un des plus pauvres du monde ? De novembre à février 2015, la capitale malgache ainsi que le nord ouest de l’île ont été gravement inondés, détruisant maisons et cultures, alors que le sud n’a pas vu de pluies durant l’habituelle saison des pluies. Cela s’est produit aussi en Afrique de l’Est et du sud. L’élevage extensif du bétail est sinistré car les prairies naturelles, déjà peu fournies, sont sèches. Les semis de riz, de maïs et de légumineuses n’ont pu lever. Les pêcheurs trouvent de moins en moins de poissons. Or, la survie des populations est basée sur ces ressources naturelles qui sont les seules sources de nourriture. La période de février-avril est celle de « la soudure », qui signifie que l’on a fini de manger la récolte de l’année précédente et que l’on attend …celle qui aurait dû pousser en novembre-décembre! Comment penses-tu que l’inégalité sociale peut marquer ces conséquences ? (Entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, entre les différents régions du pays, différentes ethnies, etc. ?) Le sud ouest malgache est sec et semi-désertique par son climat naturel. Le nord, les hauts plateaux et l’est sont habituellement arrosés et peuvent fournir des productions animales et végétales. Cependant, l’évolution climatique constatée affecte toutes les régions, par ses excès. D’autre part, l’absence de voies de communication efficaces rend difficile le transport de matières premières entre les différentes régions du pays, ce qui ne permet pas une bonne redistribution des produits de base. Seules les villes importantes sont livrées, ailleurs il peut y avoir de vraies pénuries. En tout état de cause, cela renchérit le prix de la nourriture, qui peut être multiplié par 10 en quelques jours. Evidemment, les spéculateurs en profitent aussi ! La plupart des ethnies sont spécialisées, par tradition. Ainsi les Bara sont éleveurs, les Vezo sont pêcheurs, les Betsileo sont riziculteurs…Cela accroît la rigidité des productions et des sources d’alimentation. Il est presque impossible à un Vezo de se rendre dans une région plus riche pour devenir éleveur. Il pêche de moins en moins de poissons mais n’a pas beaucoup de possibilités de faire autre chose. Les femmes ont pour rôle de nourrir la famille et de s’occuper des enfants. Il leur faut aller glaner en forêt des fruits sauvages, ramasser des coquillages à marée basse, chercher de l’eau de plus en plus loin…Durant la grossesse et l’allaitement de l’enfant elles puisent dans leur corps de quoi nourrir l’enfant et s’affaiblissent rapidement.
Quelle est la situation actuelle au sud de Madagascar et comment El Niño impacte les familles plus pauvres ? Il n’y a pas eu de saison des pluies cette année dans le sud ouest. Le prix du riz a augmenté et les plus pauvres se contentent de manioc, moins nutritif. Les fruits sont chers sur les marchés et il ne pousse naturellement que des mangues et des figues de barbarie. La viande est trop chère, les et seuls quelques petits poissons séchés sont abordables de temps en temps. On observe une recrudescence des vols, même avec violence. Les arbres, très rares, sont de plus en plus coupés pour faire du charbon de bois et gagner quelques sous. Les familles cessent de payer les frais de scolarité pour leurs enfants, qui désertent l’école. Les chèvres sont lâchées dans les mangroves pour y manger les jeunes pousses. Quelles peuvent être les conséquences au court terme ? Et au long terme ? A court terme la famine s’installe dans les familles pauvres, conduisant à une malnutrition sévère. Elle affecte en premier la croissance des enfants dont le corps et le cerveau ne peuvent se développer normalement. Affaiblis, ils ne peuvent résister aux maladies. A long terme, les enfants ayant un retard de développement ne pourront accéder à une éducation et à des métiers vraiment utiles pour le développement du pays. Et les ressources naturelles sur-exploitées mettront très longtemps à se reconstituer, diminuant les chances de revenir à une économie normale. Comment on peut faire face à cette situation à Madagascar ? A court terme, il faut s’organiser pour pouvoir procurer des aliments de base et des compléments alimentaires aux plus démunis. Il faut aussi aider financièrement au paiement des frais de scolarité et de soins médicaux. A moyen terme, il faudrait procurer des semences aux paysans qui ont dû manger leur réserve de graines. Et, bien sûr, amplifier l’éducation et la formation pour la préservation des ressources naturelles et la création d’activités agro-forestières durables. Quelles sont les mesures que la population peut prendre ? Des efforts peuvent être faits pour une gestion économe des ressources en eau, et des puits peuvent être creusés car la nappe phréatique n’est pas épuisée. Un développement de la cuisson solaire ferait faire des économies en charbon et en bois, mais les efforts pour cela sont restés vains à ce jour. Comment on peut appuyer depuis Eau de Coco ? Eau de coco est en relation directe avec des programmes de Bel Avenir qui peuvent très rapidement remédier à plusieurs conséquences de cette situation : – en octroyant davantage de bourses scolaires aux enfants des quartiers pauvres – en développant ses programmes de lutte contre la malnutrition maternelle et infantile (dans les CENUT et par le programme « 1000 jours ») – en développant la formation agricole, notamment à Mangily, pour que les jeunes dont l’ethnie est centrée sur la pêche acquièrent des connaissances sur le maraîchage, les petits élevages, la plantation de Moringa oleifera – en constituant une coopérative des anciens élèves pour leur permettre de disposer de terrain cultivable et mettre ainsi à profit leur formation. – en sensibilisant les bénéficiaires et la population aux bienfaits des oléagineux qui peuvent suppléer aux carences en protéines animales. – en reboisant la mangrove et en sensibilisant les jeunes à ses bienfaits. On dit que la plantation et consommation de légumes secs et de moringa peuvent aider à lutter contre ces graves conséquences, comment ? Les légumes secs sont des légumineuses qui procurent des nutriments essentiels, vitamines et sels minéraux mais aussi des protéines. Ils consomment moins de matières premières pour leur production que des animaux (notamment de l’eau), ils sont moins coûteux à produire et à consommer et sont faciles à stocker. De plus, leurs racines fixent l’azote et ainsi enrichissent le sol. Ce sont donc des aliments très intéressants. La Moringa oleifera est un arbuste dont les feuilles contiennent encore plus de nutriments que les oléagineux. Il est bien adapté aux régions sèches et ne demande aucun soin particulier et peu d’eau. Comme arbuste, il n’a pas besoin d’être replanté chaque année, il suffit de le tailler. Ses feuilles peuvent être mangées cuites après la cueillette, ou séchées et ajoutées dans les aliments ensuite. Une fois séchées et réduites en poudre, les feuilles peuvent se conserver facilement en sachets. Son point faible par rapport aux légumineuses : ses racines ne fixent pas l’azote dans le sol. C‘est pourquoi Bel Avenir développe les surfaces plantées en Moringa Oleifera et distribue la poudre de feuilles dans ses cantines scolaires et auprès d’autres organismes solidaires. Ainsi des milliers de repas pour enfants sont enrichis en compléments alimentaires chaque jour dans la région de Tuléar.